La classe du Chantier : Identité.s de nos corps qui marchent

Projet orchestré par Sophie Cabot avec le Collège de Maisonneuve

Retour sur le 27 octobre 2022

Identité.s de nos corps qui marchent

Le jeudi 27 octobre 2022, les étudiant(e)s du Collège de Maisonneuve ont marché dans les rues du quartier Hochelaga en direction de la friche Viauville située à l’embouchure de la rue Ontario à Montréal. Cette expérience de marche artistique était orchestrée par l’artiste en résidence Sophie Cabot en collaboration avec l’enseignante de littérature Marie-Hélène Charron Cabana à l’occasion du Chantier de recherche sur les pratiques artistiques écoresponsables.

Jumelée à des lectures proposées par l’enseignante – un extrait du livre Marcher, une philosophie de Frédéric Gros ainsi que l’essai de Leslie Kern Ville féministe, notes de terrain – l’exploration de la marche avait pour objectif d’amener les participants du groupe à se connecter à leurs identités multiples et à l’environnement urbain. Lors de leur déambulation à travers les différents espaces de la ville, les étudiant(e)s étaient invité(e)s à porter attention à leurs émotions et leurs sensations ainsi qu’à noter leurs observations sur une carte réalisée par l’artiste. Les traces de leur parcours et des passages de leurs lectures seront réinvestis dans un essai dans le cadre du cours. De plus, la documentation textuelle et visuelle des marcheur(euse)s sera assemblée dans une installation dans la Vitrine de L’imprimerie, présentée de décembre 2022 à février 2023.

*Note sur la friche Viauville : Le secteur incluant le boisé Vimont et les Friches de l’ancienne CSF font l’objet d’une mobilisation citoyenne contre un important projet industrialo-portuaire qui menace l’environnement et la santé des habitant(e)s du quartier. Il s’agit d’un projet de plateforme intermodale que l’entreprise Ray-Mont Logistiques (RML) souhaite installer sur le site de l’Assomption Sud Longue-Pointe.
Source: Coalition Climat Montréal, Mobilisation 6600 Parc-Nature MHM

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Sophie Cabot, artiste en résidence

À tous les coups, entrer dans la friche crée surprises et émotions. Est-ce la vastitude du lieu, l’abondance de la végétation, la sensation du passage des autres avant nous ? Je dirai que c’est tout ceci et le contraste de l’état sauvage qui détonne avec la structure des rues. Un changement d’espace, un lieu de permission.

Nous avions juste assez de temps pour déposer des bouts du carcan quotidien, certain.es ont pu les laisser aller. D’un autre côté, l’expérience s’est déroulée si vite, que je n’ai pas eu la possibilité de rencontrer chacun.e des étudiant.es. Notre communication se fera par leurs écrits en plus de leurs croquis sur les cartes que j’avais préparées pour faciliter les rencontres d’identité.s. Les traces, les notes griffonnées sur le champ, sont ce que je nomme des relevés de présence. Ces témoins d’instants furtifs et révélateurs d’un vécu profond, attaché à ce qui relie aux autres, à la vie comme elle est. À toutes ces identités qui nous habitent!

Marie-Hélène Charron-Cabana, enseignante

Le 27 octobre dernier, j’ai eu le bonheur de réaliser, avec une centaine de mes élèves, une marche artistique en collaboration avec le centre d’artistes L’imprimerie et l’artiste Sophie Cabot. La marche fut une période de découvertes, suivie d’intenses sentiments de paix et de bonheur au point d’arrivée, situé dans la friche de Viauville où nous attendait l’impressionnant Starfox de Junko. Sous le soleil d’automne, les sourires épanouis de mes élèves m’ont donné le courage et la force d’entreprendre le reste de la session avec sérénité. Après l’activité, les élèves devaient rédiger un essai sur leur expérience de marche artistique. J’ai été profondément émue par les réalisations et réflexions qu’ils avaient faites durant l’activité et depuis. Cette expérience avec Sophie Cabot et L’imprimerie les a conduits à réaliser à quel point l’anxiété menait leur vie, à comment ils ne connaissent pas leur ville et ne font que la traverser d’un pas pressé sans la voir, ainsi qu’à réfléchir à ce qu’ils désirent pour leur avenir et pour Montréal. Bien que certains jeunes l’aient entrepris avec réticence, cette promenade inspirée au sein du quartier Hochelaga s’est révélée une expérience bénéfique transformatrice pour eux. Je suis vraiment heureuse d’avoir choisi cette collaboration qui m’a permis de faire découvrir une artiste, un centre d’artistes, des textes d’auteurs, ainsi que d’étendre mon enseignement à l’extérieur des murs d’une institution scolaire. Elle a donc transformé également mon rapport à l’enseignement.

Geneviève Cadieux-Langlois, directrice de la programmation

En préparation de la marche, Sophie Cabot et moi avons rencontré les trois groupes d’étudiant(e)s dans leur classe au Collège. Notre première constatation était que moins de 6 personnes sur une centaine d’étudiant(e)s habitaient ou connaissaient le quartier où se situe leur établissement scolaire. Cette marche s’avérait contenir un potentiel de découverte plus grand que je ne l’aurais imaginé. Cela m’a rappelé que le quotidien d’une personne aux études est régi par une routine somme toute rigide, où le lâcher-prise et l’égarement volontaire de l’esprit y sont peu propices. Je perçois d’autant plus cette expérience comme un aménagement dans l’espace-temps de répit et de connexion avec soi-même pour les participant(e)s. J’ai eu l’occasion de me joindre à plusieurs petits groupes de marcheur(euse)s tout au long du parcours. Souvent, aux intersections, je voyais leur indécision : « Par où allons-nous, madame? » me demandait-on. Chacun était responsable de tracer son propre chemin, leur précisais-je. Je leur répondais que pour ma part, j’avais choisi de suivre les étudiant(e)s que je croisais sans regarder notre carte, je me disais que d’une rencontre à l’autre, j’allais certainement me rendre à bon port. Désarçonné(e)s de ma réponse, les étudiant(e)s finissaient par prendre leurs décisions en me racontant des bribes de réflexions que la marche leur évoquait.

En y réfléchissant, j’interprète cette activité comme un moyen d’apprentissage alternatif favorisant l’autonomie des personnes. J’ai trouvé qu’il était précieux dans un contexte scolaire de faire vivre une expérience qui s’ouvrait sur la friche Vauville, un lieu de mobilisation et de résistance citoyenne qui permettait aux jeunes de projeter leur émotion et leurs idées sur un territoire en mutation. Beaucoup de questions sur les enjeux politiques de cet espace m’ont fait sentir qu’une prise de conscience s’opérait. Je suis heureuse d’avoir pu soutenir l’artiste à concrétiser cet évènement et à conserver des traces des étudiant(e)s qui seront réinvesties dans la Vitrine de L’imprimerie prochainement.

Florence Leblanc-Dubois, responsable des communications

Armée du téléphone de L’imprimerie, j’avais pour mission, au fil de ma marche, de prendre quelques photos des étudiants pour nos réseaux sociaux. Prise dans mon brouhaha mental, je suis partie, presque à la course, à la chasse aux étudiants… qui eux, n’avaient visiblement pas choisi les mêmes rues que moi. Je ne connais pas Hochelaga-Maisonneuve. C’est donc à travers une course aux photos et une tentative d’orientation que je me suis dirigée à tâtons vers l’est.

En chemin, des images précises accrochent mon regard. Des flashbacks d’une soirée entre ami(e)s me reviennent. Le lieu maintenant imbibé de soleil prend sa place dans ma cartographie mentale. Je croise un chat. Une murale. J’emprunte une rue que je ne connais pas. Je suis un groupe d’étudiants et découvre le marché Maisonneuve.

Dorénavant, c’est cette journée du 27 octobre qui agit à titre de flashback. Lorsque je m’éloigne du très régulier chemin entre le métro et L’imprimerie, je redécouvre les endroits où je me suis arrêtée. Presque heureuse de voir qu’ils sont toujours là, si près, et qu’ils m’attendent au coin de la rue pour me faire sourire.

Katya Konioukhova, photographe

Jeudi midi, la cafétéria de mon cégep est remplie d’étudiants. Ça me rend nostalgique. On bouge vers l’extérieur pour rejoindre les autres. Combien de fois j’ai été à ce stationnement il y a presque 15 ans maintenant? On s’en va marcher avec Sophie, Geneviève, Florence et tous ces jeunes. J’ai pu échanger quelques phrases avec eux, en les prenant en photo. J’étais tellement curieuse de voir ce qui a été pris en note sur leurs cartes. Je les voyais s’accroupir pour noter des mots ou des signes, peut-être?

Ils s’arrêtent, regardent autour, cherchent les noms de rues. Il y en a qui marchent seuls, d’autres accompagné(e)s, mais la plupart se croisent et se recroisent sur le chemin. Je pense que parfois ils sont pressé(e)s d’y arriver, comme si c’était une course. Mais après je les vois prendre leur temps. Et moi, je redécouvre le quartier avec eux, ça me fait penser à toutes ces longues marches que je prenais au début de la pandémie, pour me perdre et me retrouver.

© L’imprimerie, centre d’artistes, 2024