L’Écrin – Retour sur Le grand verre de Maryse Arseneault
« Où s’arrêtent le corps d’un objet et le miens ? Ma réflexion examine la vitalité matérielle dans un contexte de l’anthropocène et s’inscrit dans une pensée éco-féministe. »
Est-ce que tu peux nous expliquer un peu ton travail en tant qu’artiste ? Qu’est-ce qui anime ta réflexion artistique ?
Mes préoccupations artistiques s’appuient sur l’accumulation répétitive et le potentiel mnémonique de l’art action. À travers multiples disciplines telles que la performance, le dessin et la vidéo, je cherche à comprendre la matière non-humaine et son agentivité, ainsi que notre relation avec celle-ci. Où s’arrêtent le corps d’un objet et le miens? Ma réflexion examine la vitalité matérielle dans un contexte de l’anthropocène et s’inscrit dans une pensée éco-féministe. J’affectionne toute manifestation poétique de la matière dans mon quotidien, par le rêve, la marche ou la cuisine, et arrive à des bribes que j’assemble dans mes interventions. Il y a souvent un élément participatif et relationnel dans mes projets, pour souligner le rôle du spectateur dans l’oeuvre d’art, et ainsi évoquer la perméabilité entre soi et l’autre au sein d’un écosystème ou d’une communauté. Du postering, des pamphlets ou des chansons pour la rue, mon travail dépend souvent de passants imprévisibles afin de s’actualiser.
Comment es-tu arrivé à créer ton projet ? Qu’est-ce que tu cherchais à explorer?
Le titre initial de ma proposition, Le grand verre, faisait référence à l’oeuvre de Marcel Duchamp, évoqué dans mon esprit par la vitrine de L’Écrin, mais aussi à l’expression « the glass ceiling » que j’associe à des notions d’inégalité de classes et d’aliénation. Je cherchais à explorer le potentiel performatif de l’objet, en analogie avec le potentiel humain de pouvoir s’envoler. Je me suis aussi beaucoup questionner quant au rôle de l’artiste dans la place publique. J’espérais activer le coin de rue Ste-Catherine / Orléan avec ma poésie et mes interventions, tout en confrontant les notions de cohabitation, de vie de rue, de privilège et de gentrification. Où se trouve réellement la frontière entre l’artiste et le spectateur ? Entre le privé et la rue ? Entre le matériel humain et non-humain ? Entre soi et l’autre ? Y’en à pas de frontières.
L’Écrin est à la fois une sculpture et un objet de support, mais c’est aussi un espace pour expérimenter et non pour présenter un travail fini. Comment as-tu travaillé avec cette contrainte ?
Mon point de départ était l’idée d’animer quelques objets – le gant, le gilet de sauvetage et le ventilateur – dans un tableau pluridisciplinaire évolutif. Une fois par semaine je passais à l’écrin pour transformer le tableau, par la mise en espace de dessins, peintures et estampes, avec performances impromptues et installations vidéo. Je travaillais à partir de projets et de matériaux déjà faits, pour découvrir de façon intuitive leur agencement, voir leur relation, dans l’espace et entre eux. Comment le poème visuel réagit-il à mes interventions ? L’imprévisible était aussi un facteur important au projet. Sans compter les deux séances de chansons pour la rue, mais le voyeurisme des passants, la proximité à la place publique, le son des véhicules ; tous ces éléments performatifs ont venu alimenter l’oeuvre. Chaque passage dans l’écrin me transforma à mon tour, puisque chaque transition devenait sa propre performance. Je considérais chaque visite comme un tableau en soi et un titre me venait, ce qui influençait ensuite le prochain déploiement. Voici les titres du projet comme je m’en souviens : Le grand verre – la chorale – la marée – la boite verte – la boite noire – le tapis rouge.
Ton travail dans L’Écrin a été par essence expérimental. Poursuivras-tu certaines réflexions qui ont surgi au cours de ce processus ?
C’est dans l’acte de faire que la poésie se manifeste le plus fluidement.
Crédits photos : Julie Desrosiers